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  • elenahoye1

Becoming animal - Devenir animal

Dernière mise à jour : 8 janv. 2021

Une couverture magnifique, qui propose déjà une immersion. Un sous-titre intriguant "une cosmologie terrestre". Me voilà happée avant même d'avoir tourné la première page de ce livre vibrant. Vivant. Et bien des jours plus tard, au moment de fermer la dernière page, je sais que ce n'est qu'un premier repérage que j'ai effectué. Oui, j'ai déjà parcouru une fois le chemin proposé par David Abram. Mais ce n'est qu'une première écoute... J'ai encore tout à recevoir.


Certains livres me semblent d'une familiarité immédiate. Ils parlent à mon âme un langage qui me semble si évident, ils murmurent des secrets qui se cachaient déjà au fond de mon coeur. Ce n'est pas le cas du dernier opus de David Abram. Chaque page m'a surprise, m'a intriguée. M'a demandé une lecture puis une relecture attentive pour saisir toute la finesse de la rencontre proposée. M'a aussi provoquée, confrontée. J'ai adoré être ainsi mise au défi.


Ce prestidigitateur-écrivain nous joue tour sur tour pour décoiffer nos certitudes. Oui, j'ai ouvert les pages de ce livre car je suis déjà dans un rapport sensuel avec le monde "plus-qu'humain" (more-than-human world, l'expression est de lui). Mais je n'avais jamais pensé à ressentir les choses de la façon dont il les exprime!

Bien entendu, voilà qui a nourrit mon imaginaire, et mes envies de proposer de nouvelles propositions en atelier d'écriture... Mais au-delà de cette stimulation intellectuelle, c'est une vraie redécouverte de certains sens qui m'a été proposée... et un émerveillement d'enfant quand une bulle de certitude-habitude éclatait. Quelle jubilation de voir certains concepts auxquels je n'avais jamais vraiment pensé briser le cadre dans lequel je les maintenais sans en avoir conscience!


En cheminant avec David -de son quotidien américain à ses voyages lointains-, j'ai accepté d'être désorientée, pour mieux me fondre avec ce monde merveilleux dans lequel on habite. Certaines de ses pages m'ont réorientée comme jamais je ne l'avais été par une lecture - elles ont changé subtilement la façon dont je me place dans la toile de la vie. D'autres m'ont laissée perplexe, ou m'ont moins parlée. A chacun de trouver les perles qui se dissimulent dans ce texte dense!


Chaque chapitre nous emmène dans un essai à la thématique précise "ombre", "maison", "bois et pierre", "réciprocité", "profondeur", "esprit", "humeur", "le language des choses", "le discours des oiseaux", "tour de passe-passe", "métamorphe", "la réalité dans son prodige", conclusion: au coeur du coeur du monde" 1


En plus d'être un magicien des sens, David Abram est un magicien des mots. Il ne les prend pas pour acquis et il nous propose une relecture radicale de la façon dont nous nous connectons à eux par la lecture. Il le fait avec une telle poésie, avec une écriture rayonnante, une plume claire et vive comme la piqure d'un papillon. Chaque page est un hymne d'amour à la nature et à la vie. Chaque page nous incite à poser le livre et aller éprouver par nous-même ce dialogue vibrant avec le monde plus qu'humain. Chaque page nourrit un sens jubilatoire d'appartenance, de connexion et nous demande d'ouvrir grand nos yeux, nos oreilles, nos cerveaux, nos âmes, de tendre nos corps vers nos sens, de revenir à notre animalité pour mieux appréhender notre humanité. C'est un livre à lire avec nos pieds avant d'aller marcher, c'est un livre à chuchoter entre nos murs pour mieux entendre le craquement des planches. C'est aussi un livre bourré d'humour.


Bon, c'est vrai, j'ai déjà entendu grogner certains lecteurs sur son style assez baroque, et son amour du mot cascader... D'autres aussi ont pu remarquer l'ironie d'un auteur qui distille dans ses livres un amour des civilisations orales et disserte sur le rôle historique de l'apparition de la lecture dans notre distanciation au monde. D'aucuns enfin se moquent de cet animisme assumé qui imprègne chacun des concepts développés. Comme tous les auteurs flamboyants, on aime ou on aime pas. On embarque ou on embarque pas... Personnellement, j'ai pris mon temps. J'ai savouré. Et j'y retournerai!


"Que ce soit en plein coeur d'une cité ou au beau milieu du sauvage, notre âme indigène s'ébroue et se réveille quand nous nous mettons à penser à la manière des histoires : les immeubles alors se penchent vers nous et les arbres dans le fond se mettent à parler d'une voix grave et gémissante tandis que leurs troncs se frôlent. Si nous pensons de façon logique, alors ces voix ne sont pas des voix. Mais quand nous pensons en histoire, elles sont en effet une façon de parler, car dans l'imagination orale, chaque entité à son éloquence et ainsi, notre chair ne peut éviter l'idée que ces sons sont emplis de sens, (...) bien que nous ne sachions pas les traduire en mots (...) Que ces expériences participatives restent accessibles à beaucoup d'entre nous dans ce monde technicisé à outrance - qu'elles n'aient pas été éradiquées par notre façon sophistiquée de voir et de penser- indique qu'il y a ici quelque chose d'essentiel à la constitution des créatures humaines, quelque chose de nécessaire pour la vitalité de l'espèce. Que ces inclinations animistes restent actives sous toute notre logique n'invalide pas ces logiques plus raffinées et récentes - pas du tout! Mais cela suggère que notre forme abstraite de réflexion reste dépendante, d'une façon ou d'une autre, de ce mode d'expérience plus ancien et plus ancré vers le corps. La persistance têtue de a paricipation suggère que cette forme ancestrale d'expérience est le terreau caché dans lequel la raison s'est enracinée, le sol secret à partir duquel toute les autres formes de réflexion tirent leur nourriture." 2


  1. Traduction personnelle, en attendant la traduction officielle

  2. Idem... Je me suis permis de racourcir certaines phrases pour garder le propos plus clair et ne pas faire une citation trop longue.








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