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  • elenahoye1

Solastalgie - Les mots pour le dire

Dernière mise à jour : 28 nov. 2022

Dans les mots qui manquent à notre vocabulaire courant, je demande... la solastalgie. Ce mot a été inventé en 2007 par Glen Albrecht, philosophe australien de l'environnement, qui s'est spécialisé dans la création de mots soulignant nos interactions avec la Terre. C'est un mot important.


C'est un mot important, car il nomme cette forme d'éco-anxiété qui ne s'articule pas uniquement autour d'un mal-être personnel, mais qui provient en grande partie de notre réalisation des conséquences désastreuses de l'activité humaine sur la planète. La solastalgie est un mélange de sentiment de déprime, d'impuissance, de désespoir, de rage, de honte, de culpabilité... Et j'en oublie sûrement. Elle survient quand on ouvre les yeux sur l'état du monde et notre participation - involontaire mais réelle - dans toutes les exactions commises par les hommes sur les milieux naturels et les autres qu'humains.


Ce mot est important, car nommer un état d'être est la première étape pour commencer à se mettre en mouvement. Si on a l'impression qu'on est, en plus, enfermé dans un problème personnel lié à notre psyché, c'est désespérant. Quand on réalise qu'il s'agit d'une forme de dépression qui touche de plus en plus de gens, et qui est effectivement liée à notre interaction - ou à notre manque d'interaction - avec la nature, cela nous permet d'aller trouver des pistes pour agir. Pour comprendre. Au moins pour rencontrer d'autres personnes qui ont ressenti, dans une grande palette d'émotions, ce même sentiment.


Il s'insère, pour moi, dans les pistes données par les membres du Travail qui Relie, qui s'articule autour du travail de l'activiste et auteure Joanna Macy et de bien d'autres autour d'elle, pour savoir comment regarder en face cet état de désespoir, et puis commencer un travail de résilience, pour nous et pour la planète. Il est une étape primordiale, car nous ne pouvons pas faire l'impasse de ce premier pas: regarder en face ce que nous - comme espèce et comme individus - faisons subir au milieu dans lequel nous vivons et dont nous dépendons, et à tous les êtres qui le peuplent. Et accepter qu'on ne peut pas regarder ces souffrances sans souffrir, à notre tour. Comme le relate Joanna Macy dans son livre "L'espérance en mouvement", le maître Zen vietnamien Thich Nhat Han, quand on lui demanda ce qu'il fallait faire pour sauver notre monde, commença par répondre: "Ce dont nous avons le plus besoin, c'est d'écouter en nous, les échos de la Terre qui pleure". 1


Ainsi que l'écrit Glen Albrecht en janvier 2020, "De bien des manières, et particulièrement pour les peuples Autochtones, les termes scientifiques "d'écologie", "d'écologique", et "d'écosystème" n'intègrent pas les dimensions émotionnelles et culturelles de la relations entre les humains et la terre. S'ils sont utiles dans les sciences, ils sont moins adaptés à l'expression des émotions humaines." 2


Dans le magnifique article qui lui est consacré dans le numéro 5 de la somptueuse revue Yggdrasil, Glen Aldrecht définit ainsi son travail: "Avec solastalgie, une évidence a surgi: le manque de formulation de ressentis très intenses a révélé un espace conceptuel totalement vide. Et ce, partout dans le monde. Bonheur, plaisir, tristesse, solidude et colère... ne suffisent plus. Un nouveau vocabulaire peut désigner précisement l'ensemble des émotions liées à la Terre que j'appelle les émotions "psychoterratiques"."3


Dans son article de Furura Science, Eléanore Solé revient sur l'étymologie du mot :

"Étymologiquement, le terme provient du mot anglais « solace » qui signifie « réconfort », et de « algie » qui veut dire « douleur ». Cela peut être traduit par la douleur liée à la perte de ce qui nous réconforte, en l'occurrence notre environnement. Notre cocon.


Glenn Albrecht explique également que le concept fait référence à la nostalgie. Plus exactement, il a construit la solastalgie pour qu'elle ait une similitude structurelle avec la nostalgie. De fait, si la nostalgie est le regret du passé avec un goût positif, la solastalgie est son opposé dans un miroir : le regret du futur avec une note amère. Les deux sont reliées par une douleur plus ou moins profonde. Alice Desbiolles, médecin de santé publique spécialisée en santé environnementale, le résume de cette façon : « Le mal du pays, c'est le pays que l'on quitte. La solastalgie, c'est le pays qui nous quitte. » 4


Références de l'article:


1. Cité dans MACY et BROWN, Ecopsychologie pratique et rituels pour la Terre, p. 113

In many respects, especially for Indigenous people, the scientifically derived terms “ecology,” “ecological,” and “ecosystem” also fail to capture the emotional and cultural dimensions of the human relationship to land. They are useful terms in systems science but not so relevant to the expression of human emotions."

3.Revue Ygddrasil, numéro 5. Entrevue avec Glen Albrecht, p38 à 43


Pour aller plus loin:

-Lectures:

Glenn Albrecht, Les émotions de la Terre : des nouveaux mots pour un nouveau monde, Les Liens qui libèrent, 2020 (ISBN9791020908070).

Emission France Culture:














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